#5 Manque de respect et déshumanisation au travail

Inclusivement Vôtre – Florence Belzak

Pour écouter l’épisode 5

Parce que l’inclusion passe par l’accessibilité de tous nos contenus, notre podcast est retranscrit à l’écrit. Vous pouvez retrouver la transcription écrite de l’épisode ci-après.

Dans cette retranscription, vous allez lire des passages rédigés en écriture inclusive et d’autres non. Chez Projet Adelphité, nous utilisons quotidiennement l’écriture inclusive, c’est pourquoi les interventions de Laura sont rédigées de cette manière. Cependant nous souhaitons retranscrire avec fidélité la parole de l’invité’e. Nous avons donc fait le choix de ne pas appliquer l’écriture inclusive lors de ses interventions.

Bonne lecture.

Transcript Episode #5

Introduction

Bienvenue dans ce nouvel épisode d’Inclusivement vôtre !

Inclusivement vôtre, c’est le podcast qui envisage la culture d’entreprise comme un pilier stratégique du développement des organisations, avec un prisme diversité et inclusion.

Je m’appelle Laura Driancourt et je suis l’hôte de ce podcast créé et produit par Projet Adelphité, l’agence de conseil et stratégie en diversité et inclusion qui propose une approche multidimensionnelle pour mettre ce sujet au coeur de la performance des organisations.

Bonne écoute !

Présentation de l’épisode

Dans la première de notre échange avec Florence, nous avons parlé des valeurs qui portaient Juliette pour un impact écologique joyeux.

Dans cette seconde partie, nous parlons du manque de respect et de la déshumanisation que l’on retrouve dans le monde du travail. Dans la continuité des épisodes précédents, nous abordons aussi la place des freelances vis-à-vis des entreprises.

Contenu de l’épisode

Bienveillance et respect envers les équipes

Laura : Comment tu crées les projets pour créer plus d’impact ?

Florence : J’ai des gros sujets qui vont être sur le long terme. Par exemple le sujet B Corp, c’est à dire comment mener l’entreprise dans le sujet, dans la voie B Corp. Ça va être comment aller trouver les bonnes solutions pour qu’on puisse rentrer dans cette dynamique et donc ça va être essayer de mobiliser les gens pour les faire grandir, pour faire grandir leur réflexion, faciliter leur appropriation du sujet qui n’est pas toujours très facile. Essayer d’avoir ce rôle de facilitateur. Leur proposer des lectures rapides d’articles, des choses comme ça pour ne pas trop perturber leur charge de travail qui est déjà bien remplie en leur amenant les choses. Essayer aussi de mettre en place des politiques engagées qui leur parle. C’est à dire que je ne vais pas faire un super doc avec un langage comme j’ai pu voir sur certaines grosses boites, où tu as l’impression que c’est complètement déconnecté de la réalité. J’essaie aussi d’avoir quelque chose qui est très pragmatique et applicable dans le quotidien pour que chacun puisse assez rapidement s’approprier les choses. Et puis surtout jamais avoir de jugement sur les actions de chacun. En fait, je pense que tout le monde essaie de faire le meilleur. Je pense que c’est important dans les relations au quotidien. Parce que finalement, on se rend compte qu’assez rapidement, notamment quand on travaille dans une boite à impact, on peut être gêné de faire tel ou tel truc. Par exemple, gêné de dire que je vais aller au boulot en voiture alors qu’il y a deux jours, je venais de faire un post sur le sujet et qu’on sait très bien qu’il faudrait limiter les transports et favoriser la mobilité douce. On essaye aussi d’apaiser tout ça et d’être à l’écoute de tout le monde et de ne surtout pas créer de jugement de valeur ou de sentiment de culpabilisation au travers de ce que je vais faire.

Laura : Ça s’inscrit bien dans l’idée de positivité qu’on retrouve chez Juliette justement. J’aurais bien aimé savoir quelles sont les pratiques managériales que tu aimerais voir disparaître.

Florence : Chez Juliette, franchement je ne vois pas, c’est plus par rapport à tout ce que j’ai vécu avant. Mais il faut dire qu’avec vingt ans de conseil, j’en ai vu des vertes et des pas mûres. Forcément le patriarcat et le paternalisme arrivent en tête de liste. Mais ce n’est pas du tout Juliette, c’est pour le coup tout ce que j’ai vécu avant qui m’a vraiment dégoûtée du salariat. D’ailleurs, j’ai longtemps hésité entre le fait de rejoindre Juliette en tant que freelance ou en tant que salariée, parce que ça m’a tellement fait mal le salariat que je ne voulais plus y aller, quoi. Il y a quelque chose qui m’énerve aussi beaucoup et qu’on voit encore trop : le manque de réciprocité dans le respect. À partir du moment où il y a une relation manageur-managé, on dirait que les gens qui ont des responsabilités, ils ont droit à plus de respect que les gens qui sont managés. Et je trouve ça juste infernal. Quand on voit qu’il y a certains patrons de boîtes qui exige qu’on dise “bonjour Monsieur Machin” quand on les croise et qui se donne le droit de répondre ou pas répondre, moi je trouve ça insupportable. Et il y a plein de gens qui ont l’air d’utiliser cette position hiérarchique comme une espèce de super pouvoirs et qui ont le droit finalement de ne pas respecter les gens. Je trouve ça inadmissible et je trouve que ça crée d’ailleurs pas mal de tensions. Parce qu’en fait, si on regardait les choses telles qu’elles sont : chacun a un rôle à tenir dans l’entreprise et il y en a ça va être de décider et puis les autres c’est peut-être un peu plus dans l’action et que si chacun collabore bien, ça marche bien. Je pense que ça marcherait mieux plutôt que de voir ça comme une espèce d’accession au statut de demi-dieu. Je dois avouer que ça, ça m’a toujours particulièrement agacée.

Les dysfonctionnements du monde du conseil

Laura : C’est vrai qu’on retrouve dans beaucoup de structures, notamment dans tout ce qui est conseil ce côté de : il faut respecter parce que la personne est manageuse ou partner, qu’elle a gravi les échelons et qu’elle a mangé les couleuvres. Ces gens ont souffert d’un mauvais management et le reproduisent, alors même qu’ils savent que c’est délétère. Mais parce qu’ils sont dans l’état d’esprit de “si moi j’ai souffert, pourquoi, les autres ne devraient pas souffrir” et ça leur permet de justifier, de rendre logique ce qui leur est arrivé. Que s’ils ne le faisaient pas, ils se rendraient compte d’à quel point c’était injuste et donc ça impliquerait d’accepter de ressentir ces émotions par rapport à tout ça. Ce n’est pas toujours évident de se rendre compte qu’on nous a marché dessus et qu’on a laissé faire par rapport à l’estime de soi, l’image de soi-même, c’est super compliqué à retravailler. En plus, on est dans une société qui ne nous encourage pas nécessairement à nous connecter à nos émotions. Du coup, ça fait un combo de gens qui ont tout enfoui en eux et qui juste se décharge sur les autres. Plutôt que de faire une bonne thérapie. Tout le monde, faites des thérapies, le monde ira mieux !

[rires]

Florence : Carrément !

Laura : C’est beaucoup des témoignages qu’on reçoit : ce que tu décris là, ce côté quand t’as un statut hiérarchique plus élevé, on dirait que tu dois recevoir un respect plus important, peu importe tes qualités humaines.

Florence : Exactement. Ça me rappelle mon stage de fin d’études où ils avaient installé une espèce de salle commune pour travailler sur le projet. Il y a quelqu’un qui a refusé qu’on soit à l’espace de grandes tables en U qu’ils avaient installé, parce qu’on était stagiaires et que, comme en tant que stagiaire, on l’avait maltraité, il était hors de question que nous, on ait le droit à un vrai bureau. On s’est retrouvé à trois entassés sur un bureau d’une personne. Et là tu te dis mais dans quel monde on vit pour arriver à des raisonnements aussi stupides ? C’est comme une espèce de “j’en ai bavé, donc je vais prendre ma revanche”. Je ne vois pas le plaisir qu’on éprouve en plus à faire subir les mauvais traitements qu’on a reçu soi-même.

Laura : Je ne suis même pas sûre que les gens ressentent un plaisir. Ça permet de justifier en fait ce qu’iels ont vécu elleux, ça participe à un cercle vicieux. Mais je ne suis pas sûre que la plupart des gens qui ont ces comportements en tirent un plaisir. Je pense plutôt que c’est juste un moyen de ne pas réfléchir à ce que ça a impliqué vraiment pour elleux de vivre ça et ça participe, entre guillemets, dans leur tête, à une justification, à une normalisation parce que sinon iels se rendraient compte effectivement à quel point c’est absurde et injuste et ça impacterait beaucoup de choses dans leur image, dans leur propre image. Je pense que beaucoup de gens n’arriveraient pas à l’appréhender de façon sereine, parce qu’encore une fois, on est dans une société qui ne nous invite pas nous connecter à nos émotions, à faire un travail sur soi pour se remettre en question, pour poser ses limites. Et pourtant, c’est très frustrant. J’avais le témoignage d’un associé dans un cabinet d’avocats qui est en mode “Moi je suis un esclave pour mes clients, donc je considère que mes collaborateurs doivent être des esclaves”. C’est extrêmement choquant, ce n’est pas OK de tenir ce genre de propos. L’esclavage était quelque chose de très grave et c’est toujours quelque chose de très grave. Il y a des parties du monde dans lequel on en retrouve encore. Et non, ça c’est juste absolument, absolument pas OK. En tant qu’associé’e, même se mettre en position de dire oui, je suis un esclave pour mes client’es, en fait non. On doit poser des limites aux client’es lorsqu’iels abusent et notamment dans tous les métiers de conseil, il y a eu beaucoup trop de, à mon sens, on a beaucoup trop cédé de terrain aux client’es pour dire “oui, on répond, dans les vingt-quatre heures dans les heures qui viennent, la demi-journée qui vient” et on se retrouve à avoir des pressions monumentales alors que neuf fois sur dix, les questions, si elles attendent deux jours, ce ne sera pas la fin du monde, mais ça évite de faire une nocturne, ça évite de juste se cramer et d’écœurer les plus jeunes des métiers mais dans une logique de “on doit répondre oui à toutes les questions des clients”. Non en fait, il y a juste des limites. Parfois il y a des priorités. Si la question peut attendre vingt-quatre heures lea client’e s’en remettra neuf fois sur dix. J’ai fait le côté conseil, j’ai fait le côté entreprise, j’ai fait un stage en département fiscal avant d’aller en cabinet d’avocats et je voyais bien que si on n’avait pas la réponse dans les vingt-quatre heures de la part du cabinet, on n’avait pas besoin de la réponse dans les vingt-quatre heures. On traitait déjà tellement de sujets tout le temps. En général, en entreprise, le rythme est plus long. Parce que la réponse n’est pas totalement complète. Toute cette démarche, vraiment je pense que c’est important qu’on prenne du recul par rapport à comment on interagit avec le travail et avec les client’es.

Florence : Oui, c’est vrai que c’est un vrai sujet. J’ai souvent eu l’impression, en tant que consultante, d’être un peu une sous-espèce humaine. C’est à dire que sans être esclave, jamais à ce point-là, parce que le vrai esclavagisme c’est en effet une horreur et ce n’est absolument pas ça. Mais c’est vrai que ce côté un peu : t’es presta donc on peut exiger un peu tout et n’importe quoi. T’es presta, donc ça veut dire que t’as un tarif qui est affiché avec ton intervention et qui donne un droit d’exigence. Alors qu’en plus je trouve que c’est contre-productif, parce que si on se sentait intégré dans l’équipe ça marcherait beaucoup mieux, on travaillerait beaucoup mieux. Les clients qui t’accueillent en disant “J’ai travaillé avec tel cabinet, c’était génial. Je pouvais envoyer des mails à vingt-trois heures, à vingt-trois heures trente j’avais une réponse, qu’est-ce que c’était bien”. Tu dis « je trouve ça bien » sans problème. Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Il y a certains grands cabinets où tu sens que ça reste encore très ancré dans l’image que tu donnes où tu dois bosser jusqu’à trois heures du matin tous les jours. Tu dois répondre oui à tout ce qu’on demande et c’est hallucinant qu’on soit encore à ça. Surtout quand on ne travaille pas pour un système qui est en train de soigner quelqu’un ou qu’on ne travaille pas pour l’aéronautique et qu’on est en train de solutionner un problème que les astronautes ont dans l’espace. Je veux dire à part ça, qu’est ce qui peut vraiment nécessiter d’agir avec une instantanéité aussi forte ? Surtout, en plus, la plupart du temps tu vois que les sujets traînent à fond derrière…

Laura : Parfois, on demande quelque chose pour vingt-quatre heures et en fait deux semaines après on n’est toujours pas revenu’e vers toi pour débriefer. En fait j’ai été obligée de faire une nocturne là-dessus, ça aurait pu attendre deux jours et ça aurait été la même chose. Et c’est vrai que c’est extrêmement extrêmement frustrant toute cette démarche.

Servilité, déshumanisation et invisibilisation du travail des femmes

Florence : Et c’est déshumanisant, finalement on a l’impression qu’en fait ce qui compte c’est l’argent. J’ai même carrément des cas où on m’a expliqué qu’on allait me mettre dans des situations personnelles extrêmement compliquées, mais parce que j’allais rapporter plus d’argent et on me l’a dit : c’est comme ça. Et là tu dis ok, ça peut aussi être ça, le monde du conseil. Parce qu’il y a tellement cette espèce de servilité vis-à-vis du service client qui arrive à des aberrations. En fait, tu es un outil de facturation donc tu dois faire un max. Le nombre de fois où on m’a dit “Non mais attends on ne parle pas de ta contrainte perso dit oui, dit que tu pourras tout faire et après une fois que tu seras dedans au bout d’un mois tu pourras peut-être commencer à faire valoir le fait que tu existes que peut-être tu as une vie autour” alors que tu dis mais enfin des gens qui sont dans l’entreprise, ils ont aussi une vie à côté. Je pense qu’ils sont capables de comprendre que tu peux avoir des contraintes persos et qu’on n’est pas des robots en fait, on est des humains donc tout le monde a des contraintes et on ne va pas juste tout oublier sous prétexte en plus de faire gagner un max de fric à ta boîte de conseil parce que de toute façon la marge ce n’est pas toi qui la prends.

Laura : C’est de l’argent qui s’est fait en t’essorant dans une déshumanisation qui est complète, on est vu comme des machines, je dis on, parce que c’est beaucoup des témoignages qu’on retrouve aussi dans les cabinets d’avocats.

Florence : C’est ça, mais je pense que c’est même parfois pire dans les cabinets d’avocats.

Laura : Ça dépend des structures et ça dépend beaucoup des manager’euses et des associé’es avec qui on est. Mais c’est vrai que c’est quelque chose qui revient souvent. J’ai des ami’es qui ont changé de structure qui m’ont dit après coup “On se retrouve dans des structures plus humaines, c’est la première fois depuis super longtemps que je me sens traité’e comme une personne humaine.”. Et on se dit mais quand est ce qu’on en est arrivé là ? À quel moment on a laissé ça devenir la norme ? Autant déshumaniser pour de l’argent. Parce que c’est des métiers qui gagnent parfois souvent même beaucoup, beaucoup d’argent. Mais à quel moment tout cet argent a pu valoir notre estime de nous, notre santé mentale, notre image personnelle et notre vie privée, à quel moment ?

Florence : Ça va aussi avec le fait qu’aujourd’hui l’argent c’est tout. Enfin, c’est la croissance de l’entreprise. C’est comme ça qu’on va mesurer la performance de l’entreprise. Et à partir de là …

Laura : C’est le PIB, c’est tout. Alors que le PIB peut être critiqué dans sa façon d’être calculé puisque ça ne prend pas en compte notamment le travail invisible, le travail domestique des femmes, alors qu’en fait s’il n’y avait pas tout ce travail, l’économie ne pourrait pas tourner. La société ne pourrait pas fonctionner si les femmes ne faisaient pas tout ce travail invisible mais qui n’est pas pris en compte dans le PIB. Plus généralement est-ce que vraiment, en tant qu’humain’es, on est venu’e sur terre pour faire de l’argent, pour enrichir d’autres gens et même pour s’enrichir soi-même d’une façon monétaire ? Est-ce que ce n’est pas plutôt pour s’enrichir humainement, apprendre à se connaître et mieux créer des relations plus saines avec les gens qui nous entourent ? J’ai un peu de mal à croire qu’on est venu’e sur terre juste pour gagner de l’argent.

Florence : Je n’espère pas, sinon c’est un beau gâchis. Il y a des événements qui remettent en cause tout ça. Pendant le confinement, ce qui me préoccupait, ce n’était pas tant d’avoir de l’argent, c’était de pouvoir donner de la nourriture à ma fille, assurer qu’elle ne manque pas de nourriture. Quand je voyais les gens qui se jetaient sur les magasins, c’est là où tu te dis finalement, en cas de grosse crise, si tu ne sais pas te débrouiller un peu tout seul et si t’as pas un peu d’autonomie, ce n’est juste plus rien en fait, l’argent c’est du vent, c’est juste une construction humaine. Si ça s’effondre, tous les gens qui sont habitués à ne dépendre que de ça, ils sont juste hyper mal. Je réfléchis pas mal à mon autonomie par exemple, parce que je trouve que c’est important. Le fait de tout focaliser sur l’argent, c’est dommage, parce que derrière, ce qui va compter, c’est la rentabilité. A partir du moment où tu ne penses qu’à ça, il y a plein de choses que tu vas zapper. Par exemple, j’étais toujours énervée de voir qu’on se moque finalement du bien-être, ce n’est même pas du bien-être d’ailleurs ça devrait être la réalité des choses, de donner des outils qui vont faciliter la vie des gens en entreprise parce qu’il n’y a pas de rentabilité derrière direct, on s’en fiche. Par contre, tout ce que tu vas pouvoir traduire en monnaie sonnante et trébuchante et en impact monétaire, tu vas le faire valoriser vraiment. Les personnes qui apportent à l’entreprise quelque chose qu’on ne peut pas toujours caractériser par de l’argent, on l’oublie complètement et on se prive de plein de trucs. Parce qu’après ça sert à quoi d’apporter quelque chose si on ne tient jamais compte et si finalement tous ceux qui évoluent sont ceux qui réussissent à rapporter de l’argent ou en tout cas faire croire que c’est le cas ?

Laura : C’est totalement ça. Ça revient encore à une question d’invisibilisation du travail des femmes. Parce qu’il y a tout ce travail de fluidification des relations. Qui pense aux anniversaires ? Qui pense à organiser un pot de départ pour les collègues ou faire le cadeau, les cagnottes ? Tout ça c’est du temps qui se déroule sur le temps de travail ou sur le temps personnel mais souvent sur le temps de travail. Et ce sont souvent les femmes qui s’en occupent, qui en sont à l’initiative. Et tout ça c’est un travail qui est non-vu, qui est invisible parce que comme on disait, il ne rapporte pas d’argent. Pourtant il est essentiel à ce qu’il y ait une bonne ambiance dans les structures. Il y a de plus en plus de recherches, d’études qui montrent qu’une bonne ambiance dans la structure, ça rapporte de l’argent aussi. Donc ce n’est pas l’idée de faire l’apologie de la bonne ambiance juste pour gagner de l’argent parce que dans l’équipe [de Projet Adelphité], on pense que c’est quand même des raisons d’abord éthiques, morales et humaines. Mais s’il faut utiliser cet argument, c’est en plus, ça apporte ça aussi. Donc c’est important de le valoriser et on ne le fait pas du tout assez. On se concentre seulement comme on disait sur qui rapportent des espèces sonnantes et trébuchantes alors qu’en fait il y a tellement, tellement plus et que potentiellement ces personnes vont être nommées manageuses ? Ces personnes elles vont avoir des postes de manageur’euses et en fait elles ne vont pas créer des ambiances qui vont être saines parce qu’elels elles ne vont être que concentrées sur la performance et elles ne sauront pas nécessairement ce qui fait le lien dans une équipe. Ça amène assez facilement à la question suivante : quelles sont les pratiques managériales que tu aimerais voir davantage ?

L’importance de la confiance et la libération associée

Florence : La principale, c’est la confiance. Pour moi, c’est tellement important de faire confiance. Je n’ai plus les chiffres en tête, mais le taux de personnes désengagées qui travaillent en entreprise est assez important. Je crois que c’était plus de vingt pour cent. C’est assez effrayant parce que c’est plus que le taux de personnes engagées. Les personnes désengagées, c’est les personnes qui viennent au boulot avec l’intention de nuire à leur employeur. Ça c’est un chiffre qui faisait un peu froid dans dos parce que c’était quand même assez élevé. Je trouve que c’est tellement important de se dire que tu ne vas pas porter ce regard négatif vers les gens. Si tu as des personnes qui sont désengagées, il faut poser la question de pourquoi est-ce qu’ils le sont vraiment ? Je pense qu’il y a quand même une grande majorité de gens qui vont au boulot et qui ont envie de bien faire. Ce n’est absolument pas satisfaisant d’arriver en disant “je vais mal faire, je vais essayer d’être le plus tranquille possible qu’on me laisse dans mon coin”. J’ai du mal à croire que ce soit le cas partout. Je suis arrivée dans tellement d’environnements où j’ai vu des gens qui portaient ce regard négatif et un peu ce côté présentéisme, le côté “je regarde ce que tu fais”, alors que je trouve que c’est tellement libérateur de travailler dans la confiance. C’est beaucoup plus engageant de se dire que je vais tout faire pour garder la confiance qu’on m’accorde. C’est ultra motivant de travailler comme ça. On devrait beaucoup plus mettre ce genre de pratiques en place. On a un phénomène franco-français de se dire qu’il faut travailler tard pour être bien vu. Ce côté confiance, ça a été vraiment une des choses qui ont beaucoup compté dans mon choix de Juliette. Aujourd’hui je ne me sens pas traquée et je ne me sens pas fliquée. Du coup, je me sens dans de bonnes conditions pour faire mon travail. Ce que je trouve intéressant aussi, c’est le fait qu’on accepte la personne en entier. Je suis maman tout le temps en fait. Je n’arrête pas d’être maman parce que je suis devant mon ordinateur, je travaille et je suis en réunion. C’est une préoccupation de tout le temps. Aujourd’hui, j’ai une grosse liberté d’organisation et mes contraintes aujourd’hui c’est pour mes enfants. Mais ça pourrait être le cas pour n’importe quelle autre contrainte. Parce, on arrive à faire passer des choses parce qu’on est parent. Et puis finalement, d’autres personnes qui choisissent de ne pas avoir d’enfants ont aussi le droit d’avoir des vies perso, le droit d’aller faire des activités qu’ils veulent. Se dire : j’ai cette liberté-là de pouvoir m’organiser comme je veux, c’est hyper important. Par exemple, on avait discuté de la semaine des quatre jours avec Baptiste une fois. Au départ, quand j’en avais entendu parler, je me suis dit : c’est génial la semaine de quatre jours. Puis, j’ai découvert ce qu’on fait chez Juliette et je me dis finalement quatre jours ce n’est pas si top que ça. Quatre jours, ça veut dire que tu vas tout concentrer sur une journée de liberté et que tu as quatre jours où tu vas être à fond. Ça peut être épuisant, je pense. Je trouve qu’on devrait prendre plus le temps de se reposer au quotidien pour être justement plus performant tout le temps. Donc, ce côté quatre jours concentrés, je trouve que ça crée une forme de petit stress. Je suis un peu tranquille parce que je sais que je peux aller déposer mes filles à leurs activités extrascolaires sans que ça pose de problème. Je peux m’organiser pour, ça pose de problème à personne. Tout le monde le fait dans l’entreprise ; c’est à dire qu’il y en a un qui va faire une heure de balade parce qu’il n’en peut plus. Je trouve que c’est hyper bien fait ces organisations. Finalement, on te traite en adulte. On te dit “Je t’ai confié une tâche, je pense que si tu as rejoint l’entreprise, tu travailles pour nous, je te fais confiance sur ta capacité à vouloir les réaliser et je te laisse la liberté de t’organiser pour atteindre cet objectif”. J’aimerais voir ça de plus en plus, que ça se passe en télétravail ou pas. Comment est-ce que c’est possible d’organiser en physique ? Je ne sais pas, je ne me suis pas posé la question. Mais, accorder un peu plus de liberté et peut-être traiter les collaborateurs en adulte, c’est aussi simple que ça en fait. Arrêter d’avoir ce côté infantilisant en entreprise, à dire : je te fais confiance, tu vas faire ton job et je te laisse t’organiser pour le faire parce que je pense que plus toi tu seras bien, mieux tu vas travailler et que du coup on sera tous gagnants.

Laura : Je pense que beaucoup de gens cherchent la semaine de quatre jours parce que le reste du temps, ils n’ont pas cette flexibilité. Et c’est pour ça ils veulent un jour complet parce que c’est le moment. Du coup, ils vont avoir cette flexibilité. Dans une vie très remplie, notamment dans les grandes villes comme Paris où on finit très souvent à dix-neuf heures, vingt heures, ce n’est pas possible d’avoir du temps pour soi, on ne fait pas son ménage ou ces lessives en rentrant. Il y a quasiment une journée entière qui passe dans le ménage, les courses, les lessives. Sur deux jours le week-end on n’a qu’une seule journée vraiment de repos. Je pense que c’est pour ça qu’il y a autant de gens qui voudraient une semaine de quatre jours. Ces gens savent qu’iels arriveront à faire la même quantité de cinq jours en quatre jours parce qu’iels font déjà des horaires étendus. Peut-être que ce sera aussi une réflexion sur le temps qu’on passe en réunion. Parce que la réunionnite aiguë, c’est une passion française. Je pense que c’est un appel à repenser comme on travaille. Et comme tu disais justement se faire confiance. Dans le podcast, on parle beaucoup de postes de cadres, donc c’est d’autres conversations. Effectivement lorsque c’est des personnes qui sont dans, qui travaille en tant que caissière, les personnes dans le médical, ce sont des conversations complètement différentes. Mais quand on est dans des métiers de tertiaire, où on peut être en télétravail, il y a vraiment une réflexion nécessaire, je pense, à comment on organise le travail. Après, cette réflexion est nécessaire dans tout le cadre du travail. C’est le confinement qui nous a offert ça. Je pense que le confinement a rebattu les cartes là-dessus parce que la plupart des gens qui ont des métiers comme les nôtres se sont rendu compte qu’iels pouvaient avoir une vie beaucoup plus flexible. Même si le confinement a aidé, le covid a été une catastrophe.

Florence : Puis c’est pas mal de se recentrer. Je trouve qu’on a fait beaucoup plus attention. Par exemple l’alimentation, c’est à dire que ça devenait important de bien se nourrir parce que finalement c’était une bonne manière de travailler son système immunitaire et de réfléchir à comment est-ce que tu fais pour être mieux armé pour ce genre de situation. Ça a permis aussi de repenser le local et l’intérêt du local. Ça remet aussi, je trouve, certains métiers un peu en évidence et qu’on oublie souvent, sans lesquels en fait on ne serait pas grand-chose et qu’on a tendance à dévaloriser. C’est quand même quelques petits effets positifs, même si malheureusement ça a été, en effet, beaucoup de catastrophes.

Conclusion de l’épisode

Parler des dysfonctionnements du monde du conseil est toujours particulier pour moi. Je n’ai jamais été consultante mais j’étais avocate et ces deux mondes sont très proches.

Notre échange montre que la déshumanisation peut se retrouver dans tous les métiers, qu’on y gagne beaucoup d’argent ou non. Dans tous les témoignages, le sentiment de n’être qu’un outil au profit de l’argent est criant.

L’écologie, c’est aussi ça : c’est repenser notre rapport au travail et à nos collègues pour sortir de cette logique marchande et d’exploitation.

Dans la dernière partie de notre échange, nous nous tournons vers le futur et nous réfléchissons au positionnement à prendre au niveau individuel pour créer un monde du travail plus inclusif.

Outro

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A très bientôt pour un nouvel épisode d’Inclusivement vôtre !