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Inclusivement Vôtre #23 – Le fonctionnement des boys club

#23 Le fonctionnement des boys club

Inclusivement Vôtre – Expert’e – Martine Delvaux

Pour écouter l’épisode 23

Parce que l’inclusion passe par l’accessibilité de tous nos contenus, notre podcast est retranscrit à l’écrit. Vous pouvez retrouver la transcription écrite de l’épisode ci-après.

Dans cette retranscription, vous allez lire des passages rédigés en écriture inclusive et d’autres non. Chez Projet Adelphité, nous utilisons quotidiennement l’écriture inclusive, c’est pourquoi les interventions de Laura sont rédigées de cette manière. Cependant nous souhaitons retranscrire avec fidélité la parole de l’invité’e. Nous avons donc fait le choix de ne pas appliquer l’écriture inclusive lors de ses interventions.

Bonne lecture.

Transcript Episode #23

Introduction

Bienvenue dans ce nouvel épisode d’Inclusivement Vôtre !

Inclusivement Vôtre, c’est le podcast qui envisage la culture d’entreprise comme un pilier stratégique du développement des organisations, avec un prisme diversité et inclusion.

Je m’appelle Laura Driancourt et je suis l’hôte de ce podcast créé et produit par Projet Adelphité, l’agence de conseil et stratégie en diversité et inclusion qui propose une approche multidimensionnelle pour mettre ce sujet au coeur de la performance des organisations.

Bonne écoute !

Présentation de l’épisode

Dans la première partie de notre échange avec Martine Delvaux, professeuse de littérature et écrivaine, nous avons parlé de la place accordée aux femmes dans l’entre-soi masculin.

Dans cette deuxième partie, nous approfondissons la notion de boys clubs. Cela nous permet d’expliquer comment le boys club se traduit dans les entreprises, dans les clubs privés, via le harcèlement psychologique et une figure d’autorité qui a le droit d’être toxique tant que c’est un homme blanc.

Contenu de l’épisode

L’exercice du pouvoir

Laura : Comme on est sélectionnée, c’est utilisé comme un gage de “On n’est pas sexiste. Regardez, il y a une femme dans l’équipe.”. Je suppose que ce concept est aussi au Québec, en France, on appelle ça la tokénisation. Être utilisée comme un token de non-sexisme. C’est retourné contre les autres femmes en plus de diviser, mais ça se retourne aussi contre les femmes parce que “Regarde, elle y est arrivée. Pourquoi toi tu n’y arrive pas ?”, alors qu’en vrai on accorde une seule place.

Martine : Qu’il s’agisse d’une femme, qu’il s’agisse d’une personne noire ou peu importe, la place de cette tokénisation, bien souvent la personne qui a été choisie, elle va aussi être lynchée. Elle va aussi être mise à l’écart. Par exemple, on peut choisir une femme noire, une femme lesbienne, femme handicapée mais cette personne va occuper un rôle. Rapidement on va la déloger. Donc il ne faut pas oublier non plus que ce rôle ne reste pas souvent. Ces femmes-là perdent leur place et elles vont la perdre parce qu’elles vont être accusées de harcèlement psychologique. En ce moment c’est vraiment l’accusation qui est très à la mode. Il faut l’analyser. Dans certains cas peut-être qu’il y a des femmes qui abusent de leur pouvoir mais Dieu sait que depuis des millénaires les hommes abusent de leur pouvoir, ils ne perdent pas leur boulot donc il y a un truc curieux.

Laura : Potentiellement, elles vont déployer le même comportement que des hommes. Mais comme ce sont des femmes et qu’on ne tolère pas qu’elles exercent un pouvoir, on va dire que c’est du harcèlement psychologique. Alors que de la part d’un homme, c’est accepté parce qu’on l’attend de lui. Alors que c’est aussi du harcèlement psychologique. Mais comme c’est un homme, il a le droit d’exercer son pouvoir de façon violente alors qu’une femme n’a pas le droit de le faire. Il y a l’idée que les femmes utilisent plus le harcèlement psychologique que d’autres types de harcèlement. En tout cas dans les entreprises et même dans la plupart des lieux, je ne suis pas convaincue qu’il y ait une plus grande proportion pour les femmes. Les hommes l’utilisent à même hauteur, c’est juste accepté parce qu’en tant qu’hommes, ils sont censés pouvoir exercer leur pouvoir de la façon dont ils entendent.

Martine : On met une femme au pouvoir, alors on s’attend à ce qu’elle fonctionne comme une femme. Qu’est-ce qu’on veut ? Il faudrait qu’elle reconduise la douceur, une voix très peu animée surtout pas de colère, peut-être des larmes, une grande empathie. Ça devrait être la maman ou la psy de tous les employés, mais pour faire œuvre d’autorité. Et pire encore, c’est qu’on n’interroge pas la culture d’entreprise, on exclut des femmes sous prétexte qu’elles sont psychologiquement harcelantes et à la place on va reconduire un homme qui va l’être. Mais ça va faire figure d’autorité. Il ne sera jamais accusé de harcèlement au lieu d’interroger une culture d’entreprise qui justement carbure au harcèlement psychologique.

Laura : Qui le permet et qui l’encourage.

Martine : Mais dans la mesure où c’est un homme.

Laura : Oui, si c’est un homme, ça passe parce que c’est ce qu’on attend de lui, alors qu’effectivement, on devrait ouvrir une vraie conversation sur quelles sont les méthodes de management et la culture de l’entreprise qui autorisent et permettent la reproduction de tels comportements ?

Martine : Même valorisent ce type de comportements dans la mesure où c’est fait par la bonne personne, c’est-à-dire un homme blanc. Parce qu’un homme noir ou un homme asiatique ou un homme handicapé, il n’aura pas le droit de fonctionner comme ça. C’est en fait l’homme blanc qui peut.

Laura : Et d’une certaine classe sociale, d’une certaine façon de faire.

Martine : D’une manière de parler.

Laura : De s’habiller.

Martine : Absolument, il faut que le complet soit bien taillé.

Laura : Lorsque vous parlez qu’on ne peut pas recréer un girls club à côté puisqu’au final si c’est pour mettre des femmes qui ont exactement les mêmes caractéristiques que les hommes de pouvoir, sauf que ce sont des femmes, ce n’est pas un modèle qu’on veut non plus, ça me fait penser au travail de bell hooks notamment quand elle dit que c’est important que des femmes arrivent à des postes de pouvoir. Mais comment faire pour ne pas basculer dans une utilisation abusive du pouvoir, une utilisation patriarcale, donc de ne pas devenir des femmes qui entretiennent ce patriarcat ? Elle dit que c’est important de revérifier régulièrement quelles sont nos valeurs, où est-ce qu’on veut aller et d’être hyper méfiante vis-à-vis de ce que le pouvoir fait là-dessus. Ça me fait un peu penser à ça aussi et une plus grande diversité dans les équipes, notamment dirigeantes. Ça permet de casser cette utilisation monoforme du pouvoir

Martine : Oui, parce que si on met qu’une seule femme, comment est-ce qu’elle peut faire autrement ? Souvent on me pose l’exemple de Margaret Thatcher. C’est classique, oui, Margaret Thatcher, elle était la seule femme. Quand ils n’étaient pas en Chambre, elle avait sa salle à elle, avec sa chaise à elle, sa planche à repasser. Alors que les mecs, ils étaient tous ensemble de leur côté, ils allaient prendre des pots, ils discutaient. Comment est-ce qu’elle aurait pu faire autrement que ce qu’elle a fait ? Je suis en complète opposition avec les postures de droite de Thatcher. Mais en termes de rapports sociaux de sexes, il y a quelque chose d’extrêmement problématique. Si on a une seule femme, elle ne pourra pas faire autrement que de faire comme les hommes. C’est impossible parce qu’elle porte une jupe qu’elle peut se comporter autrement. Il faut arrêter de penser qu’en invitant une femme, elle va pouvoir changer quelque chose. Il faut arrêter de lui reprocher d’être comme un homme. Forcément, elle va être comme un homme, c’est impossible.

Laura : Et on retrouve la même chose dans les partis politiques en France encore à l’heure actuelle et même en Italie, typiquement la première ministre est d’extrême droite. Mais pourquoi ? Parce qu’elle représente une féminité, mais elle se comporte comme un homme et elle n’a pas le choix. Et en France, on a la même chose avec le Front National, que j’appellerai toujours le Front National. Je ne l’appellerai pas avec leur nouveau nom. En 2017 en France, quand il y a eu l’élection présidentielle où il y avait Ségolène Royal face à Nicolas Sarkozy, son parti à Ségolène Royal l’a lâché. On était sur un parti de gauche.

Martine : Je pense qu’il faut faire attention parce que souvent on va brandir la gauche comme le lieu de l’inclusion et de la diversité. Attention les hommes de gauche, moi je ne leur fais pas confiance non plus. Il y a plein de problèmes. Il faut arrêter de se cacher sous la gauche en pensant que si on est de gauche, on représente tout le monde. Non, il faut là aussi faire l’effort d’une diversité et de l’inclusion. C’est faux que le machisme n’est pas dans la gauche.

La définition du boys club

Laura : Entièrement d’accord et je crois que c’est au niveau international. On se retrouve sur tous ces problèmes. En quelques mots qu’est-ce que c’est le boys club ? Quelle est la définition synthétique du boys club ?

Martine : C’est un entre-soi masculin qui opère au nom du pouvoir. Mais évidemment, il peut se décliner dans les sphères qui ne sont pas des lieux de pouvoir. Dans un bar, les copains qui sortent après le boulot vont prendre un pot, n’invitent pas leurs collègues femmes parce qu’ils restent entre eux. C’est une forme de boys club. L’expression boys club nous ramène à la fin du XIXème siècle en Angleterre où il y avait énormément de clubs privés qui étaient des clubs privés exclusivement masculin. Les femmes n’y avaient pas accès. Vous avez encore des clubs privés en France. Au Québec, je pense qu’ils sont pas mal fermés. Mais au Québec, ça s’est décliné sur les clubs de chasse et pêche par exemple, qui étaient fréquentés par des hommes de pouvoir. En France, il y a encore des clubs privés qui sont fréquentés par des gens de pouvoir politique ou médiatique. Mais le côté hommes seulement est beaucoup moins présent. Maintenant en Angleterre, ça continue quand même et ça a été dénoncé dans les dernières années. Des hommes, des ministres par exemple, des députés qui vont se retrouver au club privé entre eux comme une sorte de voie parallèle à la démocratie. Au fond, ils ne brassent pas des affaires seulement, mais ils brassent des politiques. Ils établissent des ententes. Dans ce lieu qui n’est pas le Parlement, ce n’est pas la Chambre, ce n’est pas l’Assemblée. Ils vont revenir en Assemblée, ils donnent l’impression qu’on est dans une démocratie alors qu’au fond, on est dans un club privé. Trump devient intéressant parce qu’à lui seul, il est cette espèce de boys club. Quand il était au pouvoir, il était entouré d’hommes comme lui, qui lui ont permis d’occuper cette place. Et plus encore, il a ce club qui s’appelle Mar-a-Lago qui a été l’objet d’une descente récemment. On a trouvé des documents. Il se servait vraiment de ce club privé comme une deuxième Maison Blanche. Il recevait des dignitaires, il transportait des papiers. C’est hallucinant de voir à quel point il incarnait le côté morbide, mortifère, dangereux, antidémocratique du boys club à lui tout seul. Donc le boys club c’était des clubs privés à la fin du XIXème siècle en Angleterre. Il y en avait plus de 200, il y avait des listes d’attente à l’infini et on comprend que les historiens pointent que s’il y a une telle domination du boys club c’est parce qu’à l’intérieur de l’espace domestique, dans la maison, dans la demeure bourgeoise, c’est la femme qui, tout d’un coup, occupe le pouvoir. Un pouvoir tout relatif, parce qu’elle est vraiment en charge de l’économie domestique, si on veut. Mais il reste que ça donne l’impression que l’homme n’y a pas sa place. C’est le club privé, comme une deuxième maison où là, ils se retrouvent entre eux. Ils peuvent y dormir, ils peuvent se laver, il y a des piscines, s’il y a une piscine, ils peuvent s’y baigner nu. Les femmes sont présentes sous la forme de peintures, de tableaux, de sculptures qui sont sur les murs, qui sont dans les lieux. Et on imagine bien ces lieux comme fauteuils de cuir, boiseries, donc beaucoup de richesse, des grands alcools, le cigare. Tous les clichés sont là. Ce sont des clichés parce que ça a existé. Je pars d’un lieu physique, d’une réalité sociologique pour essayer de voir comment cette figure circule et comment elle se reproduit sans arrêt, comme une sorte de maladie. C’est comme une sorte de virus. Les hommes se replacent ensemble, ils reforment des groupes, ils se retrouvent autour de quelque chose et ils gardent le pouvoir pour eux.

Laura : Comment ça fonctionne en entreprise ? Comment vous considérez que ça prend forme ? Est-ce que ça commence dès le plus jeune niveau ? Par exemple, j’étais dans un cabinet d’avocats, il y avait un club de foot. Les femmes n’étaient pas exclues. Il y en avait deux qui y sont allées mais elles y sont allées beaucoup par défi.

Martine : Oui, parce qu’elles ne sont pas vraiment invitées. Je pense que ça se joue beaucoup. Je ne connais pas beaucoup la culture d’entreprise, mais j’ai eu des amies qui faisaient partie des bureaux d’informatique, qui créaient des applications. Mais à l’époque, c’était par exemple des jeux vidéo ou des pratiques pour la postproduction. Il y avait à l’époque Soft Image. J’ai des copines qui ont fait partie de ces entreprises, qui étaient d’ailleurs ingénieures au départ et qui sont allées en informatique. Ces bureaux-là brassaient beaucoup d’argent, on arrivait il y avait un énorme bouquet de fleurs dans l’entrée, il y avait des machines à expresso. Là je parle des années 90, personne dans les bureaux n’avait ça. C’est vraiment le propre de ces entreprises où il y a beaucoup d’argent. Mes amies ont rapidement quitté parce qu’elles disaient c’est un lieu pour les mecs, il faut pouvoir y passer toute la nuit. Il ne faut pas avoir de famille, il ne faut pas avoir de vie amoureuse. Ou alors il faut vouloir baiser, mais pas vraiment avoir de vie conjugale, qu’elles soient lesbiennes ou hétéros. D’ailleurs, ça ne changeait rien. Elles n’étaient pas à leur place. Dans l’organisation, même dans les attentes, il y a quelque chose qui permet un plus grand épanouissement de mecs. Parce que l’organisation de la vie domestique, donc des mecs qui des fois ont des familles. Mais il y a quelqu’un derrière et c’est une femme, en général, qui s’occupe des enfants, qui fait les courses, qui fait tout. Qu’elle ait un boulot ou non d’ailleurs, elle porte la charge mentale, la charge physique de la vie quotidienne. Il y a toutes les activités qui sont à l’extérieur. Comme vous disiez un club de foot, aller prendre un verre, jouer au golf. Mon Dieu jouer au golf ! Ils vont au golf, après, ils vont au sauna et puis ils prennent un verre. Ils sont entre eux, ils sont nus en plus. Il y a un homoérotisme aussi qui exclut les femmes. Ils vont vouloir draguer leurs collègues. Donc ça, c’est une autre manière de les exclure. Donc si on vous drague, que vous n’êtes pas intéressée, qu’est-ce que vous faites ? Vous n’y allez pas, vous partez. Donc d’une part on drague les femmes, on les exclut quand ce n’est pas carrément être sexiste, puis carrément mal les traiter, les harceler sexuellement. D’autre part, on crée ce lieu homoérotique où les hommes se retrouvent entre eux en toute sécurité, sans crainte d’être accusés d’être homosexuels parce que mon Dieu, ce serait terrible. En même temps, ils restent entre eux. Ils continuent à brasser des affaires parce que c’est faux qu’ils vont parler d’autre chose que du boulot. Donc c’est comme si le boulot continuait mais continue sans une portion de l’équipe.

Laura : On a commencé un peu à en parler des impacts et des conséquences, donc exclusion des femmes, une prise de décision, une gouvernance en parallèle. Qu’est-ce qu’on a d’autres ? Dans toute cette implication, on parle d’hommes blancs et ça compte. Cette exclusion, c’est les femmes et les personnes minorisées, notamment les personnes racisées, puisque les 80% des handicaps sont invisibles, l’orientation sexuelle ou l’identité de genre n’est pas nécessairement affichée sur l’apparence physique des gens. On va parler de choses qui sont vraiment visibles.

Martine : Mais je suppose que ça peut jouer même bon en France comme ici d’ailleurs, mais peut-être encore plus en France, suivant la classe sociale ou même le lieu dont on vient en France. Si on arrive du Sud et qu’on a un accent marseillais, si la majorité de l’équipe est Parisiennes avec un accent parisien, est-ce qu’il y a une possibilité d’exclure, si ce n’est qu’à cause de la manière de parler ? Il y a des classes sociales visées. Ce n’est pas les grandes écoles. Il y a toutes sortes de moyens d’exclure qui sont beaucoup plus subtiles, qui ne sont pas si visibles et qui concernent même une portion de la population masculine blanche qui se verrait expulsée parce qu’elle ne correspond pas non plus à cette image du succès.

Accepter d’abandonner une partie du pouvoir

Laura : Je lisais un témoignage d’un homme racisé. Mais c’était surtout lié à sa classe sociale, il avait grandi en quartier défavorisé. Il était avocat et en cabinet d’avocats, il avait été mis de côté parce qu’il n’avait pas les bonnes marques de costumes. Donc c’est aussi un marqueur social très marqué. J’étais avocate et je n’ai pas eu de témoignages directement ou je ne peux pas dire telle structure c’était comme ça. Dans les cabinets où j’ai été, il n’y a jamais eu de problème sur les marques ou alors ça ne m’est jamais remonté aux oreilles. Mais ça ne me surprend absolument pas. Le costume dans le sens uniforme et qui a une marque spécifique à avoir ou certaines marques qui sont acceptées, d’autres rejetées parce que ce n’est pas le bon marqueur de classes sociales.

Martine : Il ne faut pas minimiser. Il y a le film American Psycho des années 80-90. J’adore ce film parce qu’il met en évidence cette fabrication du corps masculin qui est celui qu’on attend dans la culture d’entreprise. Ce sont des traders, des financiers. On le voit procéder à de la culture physique, comment il sculpte son corps, comment il se sert de produits de beauté sur son visage, comment il peigne ses cheveux, quels vêtements il choisit. Ce n’est pas seulement comment le costume est coupé ou de quelle marque c’est : est-ce que les sourcils sont épilés ? Est-ce que la coupe de cheveux c’est la bonne coupe de cheveux ? À ce niveau-là, par rapport à une culture d’entreprise et à l’insigne du pouvoir, les hommes ne sont pas différents des femmes. La différence, c’est que l’espèce d’exigence de beauté des femmes, elle est encore pire et l’ampleur est encore plus grande. Et c’est tout le temps, peu importe où on est, pour qui on travaille, comment fonctionne dans la vie, elle ne nous lâche pas. Mais dans la culture d’entreprise, je soupçonne qu’il y a ça aussi. Il y a pour les hommes une certaine attente par rapport à l’apparence et plus on est dans des sphères élevées, plus le pouvoir est grand. Plus on est riche, plus l’attente est grande.

Laura : Ça se sent et je pense qu’il y a même des entreprises lorsqu’ils ont des top manageur’ses mais qu’iels peuvent devenir dirigeant’es, limite on va leur prendre des coachs sur comment s’exprimer, sur comment choisir les costumes, comment refaire sa garde-robe. Mais surtout ce qui est intéressant sur le côté grooming du visage, on n’est pas sur du maquillage, encore que certains on n’est pas loin, mais c’est surtout que ça doit être encore plus naturel que chez les femmes, c’est-à-dire que ça ne doit pas être vu parce que ce n’est pas considéré comme normal pour un homme de prendre soin de lui.

Martine : Il ne faudrait surtout pas qu’il ait l’air d’un homosexuel.

Laura : C’est ça. À tel point qu’il y a quinze ans en France, il y avait un terme qui était à la mode pour désigner ces hommes hétérosexuels qui prenaient soin d’eux. C’était métrosexuel parce que surtout, il ne faudrait pas, comme vous le disiez, qu’ils soient considérés comme homosexuels parce que c’est une dégradation dans leur vision. Alors bien entendu, tout ça, ce sont des propos extrêmement homophobes et on le met entre guillemets. On fait une analyse. J’explicite, on ne sait jamais.

Martine : Il faut, parce que c’est vrai que c’est épouvantable, c’est d’une grande violence.

Laura : On a une exclusion de tous les corps qui ne correspondent pas à un certain idéal masculin, blanc, bourgeois et valide. Avec toutes les conséquences psychologiques que ça peut avoir. L’impact de l’exclusion et de tout ce qui est micro-agressions commence à être documenté, alors les micro-agressions ça reste laborieux, en tout cas en France. Mais l’impact de l’exclusion on commence à savoir le mesurer en impact psychologique, financier et de vie en général.

Martine : Ça peut mener au suicide. Il y a des cultures qui s’y opposent. On me disait récemment que c’est au Japon des jeunes hommes décident de faire la grève en s’allongeant sur le sol pour refuser cette pression à la productivité, au travail. C’est une des manifestations, mais c’est vrai qu’il y a des cultures comme ça, même dans la culture d’entreprise, pour qui le corps est de la chair à canon. À ce niveau-là peu importe qu’on soit comme ou différents des autres, tout le monde en paie le prix.

Laura : En quoi les boys club peuvent constituer un très gros obstacle aux politiques d’égalité, de diversité, d’inclusion dans les entreprises. Comment ça peut se matérialiser cet obstacle ?

Martine : Je pense que c’est comme un corps qui va vomir l’élément qu’on le force à absorber. Il y a vraiment ce risque-là. Si on fonctionne à l’aide de tokens au lieu de vraiment s’interroger et revoir la culture d’entreprise fondamentalement. On va juste attraper des personnes qui vont donner l’illusion qu’on a compris, qu’on revoit la culture alors que c’est faux. C’est un travail de surface et le corps va rejeter cet intrus et ça ne fonctionnera pas. Ça va se faire au prix de la santé mentale, physique de la personne qu’on a soi-disant essayé d’inclure. Je pense que ça, c’est l’enjeu le plus important. Pour vraiment revoir le fonctionnement d’une culture d’entreprise de manière fondamentale, ça implique que les personnes qui sont en position de pouvoir, de manière vraie ou symbolique, il faut qu’elles soient prêtes à céder une part de leurs privilèges et ça, c’est extrêmement difficile. Dans quelle mesure on peut arriver à faire accepter à quelqu’un qui a toujours été privilégié de ne plus l’être ? C’est presque impossible. Je ne sais pas comment ça va se faire. C’est en train de se faire, ça se fait. Mais bon, c’est extrêmement périlleux et compliqué, sensible et dangereux pour les personnes qu’on invite à faire partie de ces communautés, qui ont toujours été des entre-soi. Il faut arriver à défaire ce nœud pour que les gens comprennent que ça ne peut arriver quand c’est dans une partie de ce qu’on pensait être à nous.

Laura : Donc pour défaire le boys club, c’est accepter d’abandonner une partie du pouvoir.

Martine : De revoir même ce qu’on entend par pouvoir, je pense. Mais ça ne se fera pas comme ça. Ça va se faire petit à petit, ça va prendre du temps. Il va y avoir des ressacs et on va reculer. On va réavancer. Il ne faut aussi pas s’imaginer que parce que soit le gouvernement ou du haut des entreprises, on dit : “Mais là, il nous faut une politique de diversité et d’inclusion. Donc ça y est, on l’a fait.”. C’est un fantasme. C’est se leurrer. Je crois que ça ne peut pas se faire comme ça. Ça va se faire, mais ça va être long et douloureux.

Laura : Oui, il faut accepter qu’on va travailler sur le temps long. Il faut faire des audits, il faut être en vigilance constante sur tous ces sujets. Faire vraiment très attention et d’accepter que ça va prendre du temps. Que ce sera le travail de toute une vie pour les organisations et sur plusieurs générations de salarié’es. C’est aussi inconfortable.

Martine : Ça va être malaisant.

Laura : Une situation de malaise, d’inconfort par rapport à ça, s’y confronter et s’habituer à l’inconfort. Parce qu’au bout d’un moment, on s’y habitue aussi. Personnellement, ça fait huit ans et demi que je travaille sur ces questions et il y a des moments où je me retrouve en situation d’inconfort. D’ailleurs, pas plus tard que ce week-end avant l’enregistrement, j’ai fait une erreur sur un sujet qui ne me concernait pas, on m’a confronté face à ça et ça a été une situation d’inconfort. J’avais travaillé depuis assez longtemps sur ces sujets pour comprendre ce qui se jouait en moi et pour pouvoir y faire face. Et au début, c’est compliqué. C’est pour ça que c’est pertinent d’être accompagné aussi parce que la première fois qu’on fait face à une situation d’inconfort, l’humain déteste ça. On va juste vouloir fuir et se dire : “Ce n’est pas pour moi, c’est trop compliqué, j’abandonne.”. Alors que c’est que le début du chemin. Dans les malheurs de Sophie, à un moment, elle fait un rêve où elle a le choix entre deux chemins. Un qui est horrible, il y a plein de ronces, des gros cailloux. Il ne donne pas envie et un autre avec un petit gravier tout fin presque du sable, il a l’air idéal. Elle avance dessus et elle devient très malheureuse. Je crois qu’il y a des personnages qui arrivent, qui lui disent des choses hyper désagréables, hyper violentes. Un moment, elle ne peut plus continuer et elle décide de rebrousser le chemin et de prendre l’autre chemin en se disant que ça ne peut pas être pire. Au début, effectivement, c’est super compliqué parce que les ronces s’accrochent à ses vêtements et elle a du mal à avancer. Mais au fur et à mesure, elle commence à se sentir mieux. Il y a d’autres personnages qui viennent et qui la soutiennent et qui l’encouragent. C’est un peu ça, le chemin de la diversité et de l’inclusion. C’est un choix difficile, mais qui simplifie la vie sur le long terme.

Martine : Mais on va nous faire croire que c’est le chemin de petits graviers et de petit sable. On nous fait croire que c’est ça, mais ce n’est pas ça.

Laura : Alors que le sable vient dans les chaussures et les graviers viennent dans les chaussures, ça devient très douloureux.

Martine : Exact et on est seul.

Laura : Et on est seul’e aussi, effectivement.

Conclusion de l’épisode

Si on fait un peu attention, on se rend compte qu’il y a souvent beaucoup plus d’outrage, notamment médiatique face à une femme toxique au travail qu’un homme toxique au travail. Si les deux sont problématiques et doivent être contrés, seule les femmes sortent de leur rôle assigné socialement : elle ont touché au pouvoir et l’ont exercé comme un homme. L’homme, lui, a le droit d’en abuser. Grâce au boys club, il est soutenu et cela n’entachera pas sa carrière.

La troisième partie de notre échange porte sur l’exclusion comme forme d’intimidation pour conserver les rapports de domination.

Outro

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A très bientôt pour un nouvel épisode d’Inclusivement vôtre !

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