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Inclusivement Vôtre #34 – Les enjeux du langage inclusif

#34 Les enjeux du langage inclusif

Inclusivement Vôtre -experte du langage inclusif- Alicia Birr

Pour écouter l’épisode 34

Parce que l’inclusion passe par l’accessibilité de tous nos contenus, notre podcast est retranscrit à l’écrit. Vous pouvez retrouver la transcription écrite de l’épisode ci-après.

Dans cette retranscription, vous allez lire des passages rédigés en écriture inclusive et d’autres non. Chez Projet Adelphité, nous utilisons quotidiennement l’écriture inclusive, c’est pourquoi les interventions de Laura sont rédigées de cette manière. Cependant nous souhaitons retranscrire avec fidélité la parole de l’invité’e. Nous avons donc fait le choix de ne pas appliquer l’écriture inclusive lors de ses interventions.

Bonne lecture.

Transcript Episode #34

Introduction

Bienvenue dans ce nouvel épisode d’Inclusivement Vôtre !

Inclusivement Vôtre, c’est le podcast qui envisage la culture d’entreprise comme un pilier stratégique du développement des organisations, avec un prisme diversité et inclusion.

Je m’appelle Laura Driancourt et je suis l’hôte de ce podcast créé et produit par Projet Adelphité, l’agence de conseil et stratégie en diversité et inclusion qui propose une approche multidimensionnelle pour mettre ce sujet au coeur de la performance des organisations.

Bonne écoute !

Présentation de l’épisode

Pendant trois épisodes, nous échangeons avec Alicia Birr, experte en langage inclusif.

Dans cette première partie, Alicia nous donne sa définition du langage inclusif. Elle nous explique aussi comment c’est connecté à la culture d’entreprise. Pour cela, elle utilise son expérience chez Google comme exemple et met en lumière les différences d’approche entre les Etats-Unis et la France.

Bonne écoute !

Contenu de l’épisode

Laura : Bonjour Alicia, comment ça va ?

Alicia : Très bien et toi ?

Laura : Ça va très bien aussi et je suis ravie de t’accueillir dans ce nouvel épisode d’Inclusivement Vôtre. Pour commencer, je te propose de te présenter ainsi que ton activité.

Alicia : Je m’appelle Alicia Birr, ça fait une vingtaine d’années que je travaille. J’ai commencé ma carrière plutôt dans les industries créatives, la musique, la mode, l’édition. Et puis j’ai fait un passage par l’entrepreneuriat et j’ai rejoint il y a une dizaine d’années l’entreprise Google à Paris, où je travaillais sur les questions d’études des comportements, de consommation.

Laura : Trop cool ! Super intéressant. Ça tombe bien, ma première question c’est : en quelques mots comment tu définirais la diversité et l’inclusion?

Alicia : Pour moi, la diversité, c’est un état. On ne peut pas dire d’une entreprise qu’elle fait de la diversité. Une entreprise, elle est diverse ou elle ne l’est pas. Donc de manière générale, la diversité dans une organisation c’est simplement pour moi le fait de ressembler à la société dans laquelle on vit.

La société française est composée de personnes qui ont des profils très variés, que ce soit en termes évidemment de genre, d’orientation sexuelle, de race, de classe, tout ce que tu veux. Une entreprise diverse est une entreprise qui ressemble à la société française, mais aussi, de manière plus générale, qui recherche tout simplement à accueillir des personnes qui ont aussi des profils de comportement, de personnalité, qui sont variés et qui sont complémentaires.

L’inclusion, ce n’est pas un état. Pour moi, l’inclusion, c’est un comportement. C’est une démarche active qui vise à faire en sorte que ces personnes, dans ces organisations puissent donner le meilleur d’elles-mêmes, puissent se sentir épanouies et tirer profit. Je veux dire à dessein tirer profit de la richesse et de la complémentarité des profils.

Je rajouterais qu’en France, on parle beaucoup de diversité et d’inclusion. Mais dans le monde anglo-saxon, on rajoute souvent un « E » entre le D et le I. On parle de diversité, d’équité et d’inclusion. C’est une chose que j’ai emporté avec moi en quittant Google. Pourquoi on rajoute l’équité ? Parce que tu as l’état de diversité, t’as le comportement d’inclusion et au centre, t’as la valeur, on ne parle pas d’égalité.

Parce que l’égalité, c’est se dire tout le monde est traité de la même manière. On va donner le même vélo à tout le monde pour finir une course. L’équité, c’est reconnaître le fait que tout le monde ne part pas avec les mêmes chances ou on ne vit pas dans la même réalité. Donc nous, on ne va pas traiter toutes les personnes de la même manière. On va adapter le vélo à chaque personne de manière à ce que tout le monde ait les mêmes chances de finir la course. Moi, j’aime bien. J’essaie de m’astreindre à dire « diversité, équité et inclusion ». Parce que l’équité, c’est vraiment la valeur fondamentale sur laquelle repose le tout.

Laura : Merci beaucoup pour ce partage. Je trouve ça intéressant et pas surprenant en même temps que la notion d’équité vienne aussi du monde Anglo saxon. Parce que quand on regarde, le droit anglo-saxon est fondé sur cette notion d’équité. Il y a beaucoup de jugements qui rajoutent en fait à la loi par les juges anglais à la différence des juges français.

Les juges anglais ont le droit de créer du droit. En France, les juges français n’ont pas le droit, ils sont censés uniquement appliquer le droit. Et ça, ça s’explique par l’histoire et notamment parce qu’en France, on applique le droit romain à la base.

Enfin, on a été beaucoup influencé par le droit romain. En Angleterre en fait, les jugements étaient rendus par les juges, mais vraiment par région. Et c’est après par la démarche de certains rois anglais où il y a une volonté d’unification du droit. Mais ça reste un droit oral à la base, c’est à dire on prend en compte la situation et on applique une certaine équité et derrière, c’est la cour, leur Cour suprême qui va, qui va uniformiser ça.

À la différence du droit écrit qui est voté en fait, même s’il y avait du droit voté effectivement [en Angleterre], mais au quotidien, on était sur du droit oral. Et donc il y avait cette notion d’équité hyper présente qu’on ne retrouve pas autant en droit français, qui commence un peu depuis quelques années à vraiment s’implanter un peu plus, mais qui n’est pas là. C’est aussi pour ça d’ailleurs que les dommages et intérêts peuvent être beaucoup plus élevés dans des pays à culture de droit anglo-saxon plutôt qu’en pays avec de la Civil Law parce qu’on va chercher vraiment à remédier, juste le montant qui a été perdu.

Tu aurais un exemple ? Tu parlais donc de pratiques dans les entreprises américaines qu’on trouve exagérées en France.

Alicia : Par exemple, je me souviens qu’on avait eu beaucoup de discussions au moment où on avait reçu des formations, parce qu’il y a plein de formations que tu dois faire de manière obligatoire ou pas. Ça dépend desquelles, mais notamment sur les sujets de diversité, d’équité, inclusion, on a des formations obligatoires et on avait une formation obligatoire sur la question du racisme.

Donc évidemment, la question du racisme prise avec un angle américain ou états-unien et un angle franco-français, ce n’est pas du tout la même chose. Et il y avait des personnes de culture française, qui avaient été choquées de la manière dont on présentait en fait le racisme avec cet angle américain en disant « mais ça ne peut pas du tout marcher chez nous».

On a alors le melting pot, je pense que c’est une idée qui n’est en fait pas opérante non plus pour les États Unis, mais on a cette idée là qu’on connaît mal en fait de la culture américaine. On se dit nous, on ne peut pas appliquer de la même manière cette formation sur la question du racisme, ça n’a pas de sens, universalisme et compagnie.

Donc ça c’est très concret et ça montre comment dans une entreprise internationale globale, il n’est pas évident de penser une stratégie D&I qui soit unifiée parce que localement la culture des gens va faire que tu vas recevoir les contenus de manière différenciée. Parfois même, ça va créer de la résistance parce que ça crée le sentiment que l’entreprise n’a pas compris les spécificités locales et n’a pas fait l’effort aussi d’apporter la pertinence locale que tu vas avoir dans une formation.

Laura : Merci beaucoup pour cet exemple. C’est vrai que nous, c’est quelque chose qu’on revoit souvent du côté de projet adelphité selon comment on parle de racisme, on voit qu’il peut y avoir des réticences on entend des salariés parfois dire oui mais ça, ça ne fonctionne pas sur le contexte français.

C’est là où l’histoire est super importante, où on s’appuie sur l’histoire d’expliquer que le contexte est différent et après on tire les bonnes pratiques qui peuvent s’appliquer, qui sont utiles en France. Parce que ce n’est pas parce qu’en France il n’y a pas eu sur le territoire métropolitain d’apartheid, [Je précise bien sur le territoire métropolitain parce que sur les DOM-TOM ce n’était pas la même chose] qu’on est exempt de racisme, etc.

On va avancer un peu sur la deuxième définition, comment tu définirais la culture d’entreprise ?

Alicia : Pour moi, la culture d’entreprise, c’est l’ensemble des valeurs et des comportements qui sont valorisés dans une organisation. Je dis valoriser, ce n’est pas parce que c’est toujours des comportements positifs. Il peut y avoir des cultures d’entreprise toxiques, mais en tout cas c’est bien perçu, notamment par le leadership et la culture de l’entreprise.

Elle est beaucoup incarnée par justement l’intégralité des membres du leadership et du management, mais aussi par toutes les personnes qui travaillent dans la boîte et au-delà de ça. Au-delà des gens pour moi, la culture d’entreprise, elle est aussi représentée par tout ce qui émane de l’entreprise, que ce soit la publicité, que ce soit les produits, que ce soit les services, que ce soit la manière dont les locaux sont pensés, designés et cetera.

Pour moi, tout ça, c’est la culture d’entreprise, tout ce qu’on considère valorisé et d’une certaine manière positive dans l’entreprise.

Laura : Super et ce que tu dis là, notamment les produits, ça m’amène super bien à la question suivante ; comment tu articules culture d’entreprise, diversité, inclusion, mais aussi avec ton activité ?

Alicia : Le cœur de mon activité, c’est le langage inclusif et donc par extension, la communication inclusive. C’est-à-dire s’interroger et vraiment prendre le temps de cultiver ton esprit critique sur les mots que tu emploies au quotidien et auxquels ne t’as pas tellement réfléchi auparavant parce qu’on est en mode pilote automatique.

Donc on se dit « oui, le 8 mars, c’est la journée de la femme ». Non, le 8 mars n’est pas la journée de la femme, c’est la journée internationale de lutte pour les droits des femmes et en fait c’est très différent. La volonté que j’ai, c’est d’encourager les gens à juste réfléchir aux mots qu’on emploie.

Le genre des mots évidemment, donc de ne pas dire « bonjour à toutes », mais « bonjour à tous et à tous » quand t’es une assemblée mixte. On pourra reparler plus en détails de ça. En fait, ce que je trouve hyper intéressant dans ce sujet et la raison pour laquelle je m’y suis passionnée et j’ai vraiment envie de le porter, c’est qu’en fait les mots, ils sont tout le temps-là, on les emploie tout le temps dans notre expression écrite et orale. Il n’y a pas une journée qui passe ou alors je n’espère pas malheureusement pour les personnes les plus isolées, sans que tu puisses utiliser des mots en fait. Ils sont tout le temps-là, ils sont tout le temps gratuits, tu as le pouvoir de les choisir.

Personne ne peut t’empêcher de dire une chose plutôt qu’une autre, modulo la diffamation. Mais en tout cas personne ne peut t’empêcher de les utiliser et ça a un impact. Les mots ont un impact et on en reparlera. Utiliser certains mots plutôt que d’autres spécifiquement pour parler des personnes, utiliser le genre de certains mots plutôt que d’autres, ça a un impact sur ta représentation du monde.

Donc c’est là que j’en viens à répondre à ta question plus précisément. En fait, pour moi, le langage inclusif, de par son accessibilité, de par le fait qu’il est gratuit, qu’il est là tout le temps et qu’on l’utilise tout le temps peut nous pousser à avoir une réflexion critique qui va venir transformer nos pratiques.

Et donc potentiellement transformer aussi la culture de notre entreprise. Parce que ça va te pousser à avoir des réflexions sur plein d’autres choses quand je te dis « mais pourquoi est-ce que c’est intéressant de dire les consommateurs et les consommatrices plutôt que juste les consommateurs » et que tu vas tirer le fil en fait.

Qu’est-ce que ça veut dire en termes de psycholinguistique, en termes de représentation, en termes d’efficacité publicitaire? « Ah ok, mais peut-être qu’il va falloir qu’on change en fait les mots qu’on utilise pour pitcher notre produit. Ah ben peut être que du coup il va falloir former les équipes à comprendre aussi ce que c’est le langage inclusif ».

Mais pourquoi on fait ça pour l’égalité femme homme ? Mais pourquoi est-ce qu’on a encore besoin de parler de l’égalité femme homme ? Parce qu’inégalité de salaire en fait, tu peux tirer de cette question du langage inclusif. Un fil, tu peux dérouler toute une bobine qui va te permettre en fait de parler de toutes les formes de discrimination parce que le langage inclusif, c’est le genre, mais ce n’est pas que ça et on en reparlera.

C’est ça que j’aime beaucoup et je trouve que c’est le pouvoir transformant du langage qui me passionne.

Laura : Et ça s’entend et c’est trop bien. Du coup, la question que tout le monde se pose là quand on va nous écouter, c’est quoi le langage inclusif ?

Alicia : J’utilise l’expression de langage inclusif et pas écriture inclusive. Je t’expliquerai pourquoi. Pour désigner un ensemble de pratiques qui va permettre de représenter aussi justement que possible toutes les personnes, quel que soit leur genre, quelle que soit leur identité, en ayant une attention particulière pour les mots qui désignent ces personnes et aussi pour la manière d’écrire, donc les accords grammaticaux, la syntaxe, etc. et ça à l’écrit et à l’oral.

Donc il y a deux trois trucs qui sont importants dans cette définition. La première comme j’ai dit, moi je parle de langage inclusif et non pas d’écriture inclusive, parce qu’en l’occurrence, je parle inclusive tout le temps. Ce n’est pas uniquement une pratique que j’ai à l’écrit.

En français, on a une langue qui est on dit grammaticalement genrée, on a le masculin et le féminin pour écrire, on n’a pas d’autre genre, on n’a pas de genre neutre, comme en anglais par exemple. Donc c’est vrai qu’on a tendance à penser le langage ou l’écriture inclusive, qui est l’expression la plus répandue néanmoins, avec uniquement le prisme du genre, c’est à dire dire « bonjour à toutes et à tous ».

Mais pour moi, la définition du langage inclusif, elle est beaucoup plus large parce que je parle de représenter les personnes, quel que soit leur genre et leur identité, spécialement en choisissant bien les mots qui les désignent. Par exemple, j’ai fait un travail de réflexion sur moi-même, de déconstruction pour savoir pourquoi est-ce qu’à un moment je ne me sentais pas à l’aise de dire « une personne est noire », je disais toujours : « elle est black, elle est renoi ». Voilà, tu contournes l’adjectif qui pourtant désigne la couleur de la peau de la personne que tu as en face de toi. Ça pour moi c’est du langage inclusif aussi de choisir de dire d’une personne qu’elle est trans ou transgenre éventuellement, plutôt de dire qu’elle est transsexuelle, qui est un mot qui n’est plus du tout aujourd’hui utilisé par la communauté des personnes qui en font partie. Pour moi c’est aussi du langage inclusif. Donc t’as un peu deux facettes : la face genre, masculin et féminin qui est très vrai en français dans les langues grammaticalement genrées mais t’as aussi toute la face, de bien choisir les mots qui décrivent surtout l’identité des personnes. Et c’est ça le langage inclusif.

Laura : C’est intéressant toute la partie sur effectivement dire noir plutôt que black. Je me rappelle, j’avais une amie, j’avais reprise une fois parce qu’elle disait « Black ». Elle me disait Je pensais que c’était moins raciste.

Alicia : C’est exactement la conclusion à laquelle je suis arrivée en écrivant parce que j’aime beaucoup écrire. L’écriture est un outil qui permet aussi aux personnes à qui c’est accessible de réfléchir sur soi-même. En effet, ce que j’ai réalisé pour moi qui je pense, doit valoir aussi pour d’autres personnes, c’est que t’as peur pour passer par là pour raciste.

Mais t’as peur de passer pour raciste parce que tu as intériorisé le fait qu’être noir est déjà moins bien en fait qu’être blanc dans la société dans laquelle on vit, qui est de manière systémique, raciste. Et donc tu ne veux pas froisser non plus les gens qui sont en face de toi, Mais moi je suis blanche de peau, donc je ne suis pas une personne concernée par le racisme, mais donc j’avais intériorisé un truc que je n’avais pas conscientisé.

Après, je parle avec des personnes noires à qui ça ne pose aucun problème qu’on dise « Black », mais peu importe. Je respecte leur choix d’être nommées de la manière dont elles veulent être nommées, donc après, jamais personne ne m’a dit je veux que tu me dises « Black » plutôt que « Noir’e » en général.

Mais moi, en tant que personne blanche, j’utilise le mot qui me semble être le précis et que par ailleurs, plein de personnes noires et notamment militantes, disent préférer à tout autre mot.

Laura : Je dirais même que ce n’est pas que parce qu’on a cette question d’avoir peur de paraître raciste. Parce qu’on dirait le bon mot ; on dirait noir alors qu’avec Black, on crée une distance, c’est toujours en fait la peur d’être raciste, mais je rajouterais le fait qu’on est dans une société qui est très colorblind en France. On aime beaucoup dire « je ne vois pas les couleurs ». Donc apparemment on est tous daltoniens. Je pense que le fait d’avoir ce positionnement là, si on dit noir en fait on reconnaît qu’on voit les couleurs et du coup, ça brise un peu un contrat social implicite de « on ne voit pas les couleurs ».

Alicia : Ça revient à ce qu’on disait tout à l’heure sur l’égalité versus l’équité. Parce que c’est aussi une des raisons pour lesquelles typiquement, pour reprendre l’exemple de cette formation dont je parlais tout à l’heure, un des arguments qui était fait par les personnes de culture française, c’est de dire « oui mais en France en fait, on est dans une culture universaliste que tu sois noir ou non », le fameux black blanc beurre en fait des années 80 qui aujourd’hui n’est plus aligné en fait avec l’air du temps, avec le développement aussi de l’esprit critique j’espère et le militantisme.

Ça clairement, c’est au fondement de cette culture d’égalité de ne pas voir les couleurs. C’est ça qui empêche aussi parfois de se poser des vraies questions, tout simplement sur la manière dont on nomme la réalité et surtout encore une fois dont on nomme les personnes.

Laura : Totalement et je compléterai juste une dernière chose. Je trouve toujours ça fascinant, enfin fascinant, on s’entend, les personnes blanches et les personnes noires, c’est les seuls groupes qui sont nommés par une couleur qui n’est pas leur couleur de peau. Vraiment, parce que toutes les deux, on est des personnes blanches.

Mais notre peau, elle n’est pas blanche, elle est beige et les personnes noires, elles ne sont pas noires, elles ont une peau marron. Et je trouve ça assez intéressant parce que c’est les deux seuls groupes racialisés. Quand on est blanc, il y a aussi une racialisation, mais on ne la subit pas, on en bénéficie. On est les deux seuls groupes où en fait il n’y a pas une couleur.

Alors je ne parlerai pas pour les personnes asiatiques parce que le terme a été clairement identifié comme raciste. Mais du coup, pour les personnes blanches et pour les personnes noires, on est toujours sur cet enjeu de couleur alors que ça ne représente pas véritablement nos couleurs et on voit nos couleurs de peau bien entendu. Et on voit par ça qu’on est vraiment dans de la construction sociale.

Alicia : Juste une petite anecdote sur un mot tu vois qui est intéressant qui est plutôt issu du vocabulaire informatique mais tu vas dire black-lister ou white-lister pour dire on va autoriser par exemple une personne ou même un programme informatique à accéder à un autre programme. Donc black-listé’e t’as pas le droit, white-listé’e t’as le droit. Chez Google, il y a plusieurs années on a supprimé en fait ce mot du vocabulaire utilisé notamment pour le développement dans le langage informatique. De manière générale, pardon aux informaticiens informaticiennes qui m’écoutent et qui s’arrachent les cheveux sur mon langage non précis pour le coup. On les a remplacés par blocklisté’e et allowed-listé’e donc t’es bloqué’e ou t’es autorisé’e. Parce que en fait ça en plus, dans le cadre d’un langage informatique où t’as aussi des tables de base de données qui sont appelées master and slave donc maître et esclave.

Tout ça, ça contribue à charrier l’idée que black listé’e, en fait t’es pas autorisé’e parce que c’est noir et t’es autorisé’e, ce qui est autorisé est ce qui est blanc. Alors des gens vont se dire « ah c’est un petit peu tiré par les cheveux, on sait bien que ça ne veut pas dire ça ». Mais en fait tout ça participe en fait d’un même magma raciste dans lequel on baigne sans s’en rendre nécessairement compte.

Et je trouve que c’est intéressant de voir jusqu’où le langage inclusif se niche dans des endroits ou dans des jargons qui sont spécifiques à certains métiers et que là aussi en fait, ça peut se détricoter.

Laura : Et c’est comme tu disais ça influence la façon dont notre cerveau perçoit les choses et crée les hiérarchies en fait, et ça renforce ces mêmes hiérarchies.

Et t’as commencé un peu à rentrer dans ce sujet là. Mais ma question suivante, c’est comment on peut utiliser le langage inclusif pour transformer les pratiques ?

Alicia : Déjà ce qu’il faut dire : c’est pourquoi en fait, on fait ça. Pourquoi est-ce que c’est pas juste ma petite passion de dire « il faut cultiver son esprit critique », c’est parce que ça a une forme d’efficacité quand je dis que les mots qu’on emploie ont un impact sur notre manière de nous représenter le monde. Je te demande pas de me croire sur parole ou aux personnes qui nous écoutent de me croire sur parole. Ce n’est pas un argument idéologique, c’est un argument scientifique.

Ça fait cinquante ans que tu as un champ qui s’appelle la psycholinguistique, donc qui étudie les rapports entre la manière dont on s’exprime, les mots qu’on utilise et notre représentation du monde, qui démontre par A+B systématiquement que, par exemple, quand tu vas employer des mots au masculin dit générique, ça va représenter dans ta tête plutôt des hommes. Exemple très concret : si je te dis « cite moi deux écrivains célèbres », tu vas plus facilement penser à des noms d’hommes que si je te dis « cite moi deux écrivains ou écrivaines célèbres ». D’ailleurs on a compté, on a fait le test sur plein de métiers et quand tu dis « cite moi deux écrivains ou écrivaines célèbres », tu auras trois fois plus de noms de femmes citées que quand tu dis deux écrivains célèbres, c’est très concret, c’est basique, c’est des faits, c’est des chiffres, c’est de la science.

Après, si on ne croit pas à la science, c’est un autre sujet dont nous ne parlerons pas aujourd’hui. Mais c’est pour ça qu’on le fait. En fait, c’est parce que concrètement, les mots que tu emploies ont un impact sur ta représentation du monde. Je disais ça parce que si en fait on se dit un des enjeux d’une entreprise, c’est l’égalité salariale par exemple d’ailleurs prix Nobel qui vient d’être attribué enfin à une femme qui a travaillé sur les questions de compréhension d’où viennent ces fameuses inégalités salariales.

Parce qu’on n’avance pas très vite, même pas du tout, on n’avance pas en réalité. En fait, quand tu fais partie d’une entreprise à part si t’es DRH ou si t’es en leadership, c’est difficile pour toi d’avoir un impact sur l’égalité salariale. C’est pas facile, tu peux, mais c’est difficile alors que le langage, comme j’ai dit tout à l’heure en fait, tu l’as avec toi.

Donc déjà, si tu commences, quelle que soit ta position dans l’organisation, à réfléchir aux mots que t’emploies et à utiliser les mots au masculin et au féminin par exemple, en fait, tu peux avoir un impact sur la représentation des gens. Évidemment, ça prend du temps. C’est pas un reproche qui est fait par certaines aux gens qui comme moi défend le langage inclusive « ah ça va les féministes vous devriez avoir mieux à faire que nous faire changer de trois mots par-ci par-là. C’est pas ça qui va changer quotidien des femmes ». Non mais c’est un système en fait.

Donc il faut le prendre par tous les bouts et ça paraît curieux de ne pas le prendre aussi par le socle de tout qui sont les mots qu’on utilise. Donc en ce sens je trouve que le langage devrait être un peu la base en fondamentale presque de toutes les stratégies diverses d’équité et d’inclusion.

On est déjà de se dire « mais comment est-ce qu’on parle du sujet ? Comment est-ce qu’on parle de l’égalité femme homme ou de l’égalité homme femme ? » C’est déjà pas la même chose parce que l’ordre de mention donc le fait de mettre un mot avant un autre, ça a du sens en fait. Donc déjà juste de réfléchir à ça.

On parle d’égalité salariale mais comment est-ce qu’on parle en fait des salariés femmes et hommes dans notre communication interne, comment est-ce qu’on recrute ? Ça, on en reparlera parce que ça fait partie des pratiques qui à mon sens sont probablement les plus transformatrices. Comment tu t’assures, pas pour parler d’égalité mais de mixité ou de parité dans les entreprises. D’avoir plus de conductrices, de bus et de conductrices de métro. Le langage inclusif c’est un outil à utiliser pour faire précisément ça. En fait il y a plein d’endroits dans une boîte où ça peut venir influencer pas que les RH à proprement parler et c’est pour ça que je trouve que c’est un outil qui a vocation à être plus largement utilisé.

Conclusion de l’épisode

Pour comprendre les dynamiques de discrimination et d’oppression, il est essentiel de connaitre l’histoire de leur développement. Cela permet de comprendre pourquoi en France, on a autant encadré les statistiques ethniques et qu’on préfère ne pas voir les couleurs et pourquoi aux Etats-Unis, il est parfaitement normal de remplir des questionnaires demandant si on est Noir’e, Blanc’he, Asiatique, etc. C’est comme ça qu’on peut créer des sensibilisations et des stratégies Diversité, Equité et Inclusion qui prennent en compte les spécificités locales.

Mardi prochain, dans la deuxième partie de notre échange, Alicia nous présente l’histoire des évolutions de la langue française et de la démarche derrière le langage inclusif.

Outro

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A très bientôt pour un nouvel épisode d’Inclusivement vôtre !

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